Histoire de la spiruline
Histoire de la spiruline
Les cyanobactéries sont les plus anciennes formes de vie sur terre. La communauté scientifique s’accorde sur le fait qu’elles sont apparues sur notre planète, il y a entre 2,7 milliards et 3,5 milliards d’années.
Il y des chances que la spiruline ait été consommée par certains groupes humains depuis fort longtemps, peut-être même depuis la préhistoire. Cela reste une hypothèse. Elle n’est attestée par aucun texte, ou aucune donnée archéologique. Par contre, à partir du 16e siècle, il commence à y être fait référence dans les ouvrages relatant la conquête du Mexique par les conquistadors.
Le tecuitlatl des Aztèques
Le conquistador espagnol Hernán Cortés arrive dans la région de Mexico (Tenochtitlan) en 1519. La cité est édifiée sur les îles et autour du lac Texcoco. Bernard Diaz Del Castillo, qui accompagne Cortés dans son expédition, et Cortés lui-même, qui dicte ses mémoires à son secrétaire Francisco Lopez de Gomora, relatent l’existence d’un aliment étrange consommé par les Aztèques et nommé tecuitlatl. Ils le décrivent comme un limon de couleur bleue, « puisé dans la lagune. Ce limon se fige et devient apte à être partagé en tablettes, dont le goût rappelle un peu nos fromages » (Diaz Del Castillo, p. 363). Lopez de Gomora explique que cet aliment n’est ni une algue, ni une « boue ». Dans les couches populaires du peuple aztèque, on le consomme en masse, après l’avoir fait sécher, et transformé en gâteaux. On le vend aussi, bien au-delà des limites de la région de Mexico.
Cortés conquiert la ville en 1521. La civilisation aztèque s’effondre dans la foulée. Ses coutumes disparaissent, et avec elles ses habitudes alimentaires. Le tecuitlatl est rangé au rayon des souvenirs, puis oublié, avant de refaire son apparition au XXe siècle, sous un autre nom, et sur le continent africain.
Le dihé des Kanembous
Le 17 avril 1940, le botaniste français Pierre Dangeard, communique à la Société Linnéenne de Bordeaux ses observations Sur une algue bleue alimentaire pour l’homme : Arthrospira platensis. Il s’est procuré des échantillons par le biais d’un pharmacien en poste au Tchad. Ce dernier, un certain M. Créach, les a achetés sur un marché du village de Massakong, à une cinquantaine de kilomètres du lac Tchad. La communication de P. Dangeard ne reçoit aucun écho. Au moment de sa publication, les troupes allemandes sont lancées à la conquête de l’Europe. La France est envahie en mai. L’article est oublié.
Pour preuve, en octobre 1959, la revue Sciences et Avenir publie un article de Max-Yves Brandily intitulé : La nourriture de l’an deux mille. L’ethnologue est allé à la rencontre des Kanembou du Tchad. Il a observé les femmes en train de récolter des algues vertes sur les rives d’une étendue d’eau. Il décrit en détail la manière dont ensuite elles font sécher la matière verte dans des excavations creusées dans le sable, comment elles l’y laissent sécher au soleil, en font des tablettes, qui seront consommées telles quelles ensuite, ou utilisées comme condiment. Max-Yves Brandily relate que ces plaquettes d’algues vertes se nomment « douhé ». Mais de retour en France, Max-Yves Brandily fait analyser ses échantillons, et ils sont confondus avec de la chlorelle (une algue d’eau douce, elle aussi très riche en chlorophylle et en protéines, mais aux vertus moins marquées que celles de la spiruline). Max-Yves Brandily ne fait pas de rapprochement avec la publication de P. Dangeard de 1940.
En 1964, une expédition scientifique belge se lance dans la traversée du Sahara d’Ouest en Est. Le botaniste Jean Léonard en fait partie. Au Tchad, il est frappé par une algue que consomment les habitants de la région proche du lac Ounianga. Avec un autre botaniste, Pierre Compère, ils vont démontrer, en l’analysant, la haute valeur nutritionnelle la Spirulina Platensis. Cette « algue bleue » est largement consommée par les populations locales, les Kanembous. Ils l’appellent « dihé », et en mangent depuis des temps immémoriaux.
En 1967, P. Compère et J. Léonard communiquent leurs observations sur Sipurilina Platensis, algue bleue de grande valeur alimentaire par sa richesse en protéines, dans le Bulletin du Jardin Botanique National de Belgique. Elles suscitent cette fois un grand intérêt.
Retour au Mexique où est redécouvert le « tecuitlatl» des Aztèques
1967 est aussi l’année où se tient à Mexico le 7e congrès international du pétrole. Le thème de l’une des conférences de ce congrès attire particulièrement l’attention d’un industriel français, Hubert Durand-Chastel. Il y est question de la spiruline, et de sa consommation par les populations tchadiennes.
Hubert Durand-Chastel est installé au Mexique depuis quelques années. Il dirige la Sosa Texcoco, une entreprise de production de carbonate de soude, installée sur les rives du lac du même nom. Dans le processus de production, il a déjà observé à maintes reprises, la formation de matières organiques de teinte bleuâtre qui viennent perturber la cristallisation des carbonates. Lorsqu’il entend parler du dihé des Tchadiens, il fait le rapprochement. Les analyses confirment son intuition. Il décide de tirer parti de sa découverte. Il obtient le soutien de l’O.N.U., qui l’assiste dans ses démarches, car Hubert Durand-Chastel a parfaitement mesuré le potentiel de la spiruline, à la fois comme complément alimentaire pour les humains, mais aussi pour les animaux d’élevage. L’O.N.U. voit dans la spiruline un moyen de « remédier à la pénurie de protéines qui menace le monde ».
L’entreprise Sosa Texcoco devient ainsi la première au monde à élaborer un procédé permettant de récolter et de produire de la spiruline à l’échelle industrielle (plusieurs centaines de kilos par jour, dans un bassin circulaire de 10 hectares). La commercialisation de sa spiruline débute en 1976.
Hubert Durand-Chastel fait entrer la production de spiruline dans une ère industrielle. Il ouvre la voie pour d’autres industriels en Chine, au Japon, ou encore aux États-Unis.
Dans le même temps, des expériences sont menées pour développer la culture de la spiruline à un niveau plus local, pour une production artisanale accessible à tous, partout dans le monde.
La spiruline pour lutter contre la malnutrition : l’influence de Ripley Fox et de Jean-Paul Jourdan
Au début des années 70, les études sur la spiruline se multiplient à travers le monde. Son potentiel nutritif est désormais connu. Il attire l’attention d’un scientifique et microbiologiste américain : Ripley Fox.
Ripley Fox vient s’installer dans les Cévennes et débute ses propres recherches. Il est persuadé que la spiruline est un remède contre la malnutrition dans le monde, et sa vision repose sur l’idée que sa culture doit être aisée à mettre en œuvre pour devenir accessible à tous, surtout aux plus pauvres. Dans son mas cévenol, il met en place des prototypes de bassins, forme des stagiaires, monte des projets en Inde, au Sénégal, au Togo, au Vietnam. Ces derniers permettront de diffuser la spiruline en Afrique, en Amérique latine et en Asie.
Parmi les élèves de Ripley Fox, un homme a eu une influence capitale sur le développement de la culture de spiruline en France. Il s’agit de Jean-Paul Jourdan. Son « Manuel de culture artisanale de la spiruline », publié en 1999, librement accessible en ligne, reste un ouvrage de référence très détaillé pour tous ceux qui souhaitent se lancer dans la production de spiruline. Il a guidé nos pas pour la création de la ferme West Spiruline.
Sources documentaires :
Description générale et composition de la spiruline
- Ciqual (Centre d’information sur la qualité des aliments)
https://ciqual.anses.fr/#/aliments/11086/spiruline-(spirulina-sp.)-sechee-ou-deshydratee
- USDA (U.S. Department of Agriculture)
https://fdc.nal.usda.gov/fdc-app.html#/food-details/170495/nutrients
- La spiruline : un complément alimentaire en conseil à l’officine, Ahounou Morènikè Nadège, thèse de de doctorat en pharmacie, Université de Rouen, 2018
https://dumas.ccsd.cnrs.fr/dumas-01804069/document
- La spiruline, bilan et perspectives, Hélène Cruchot, thèse de doctorat en pharmacie, Université de Besançon, 2008
Histoire de la spiruline
- Le Tecuitlatl, concentré de spirulines, source de protéines comestibles chez les Aztèques, J. Paniagua-Michel, E. Dujardin, C. Sironval, Bulletins de l’Académie Royale de Belgique, 1992, pp. 253-263.
https://www.persee.fr/doc/barb_0001-4141_1992_num_3_10_27389
- Histoire véridique de la conquête de la Nouvelle Espagne, Bernard Diaz Del Castillo (1568, imprimé en 1632), Tome I, p. 363, édition de 1876.
- Sur une algue bleue alimentaire pour l’homme : Arthrospira platensis, Pierre Jean Louis Dangeard, 17 avril 1940, Actes de la Société Linéenne de Bordeaux
- Guide pour l’exploitation à l’échelle industrielle de l’algue Spirulina Geitler J. de toni, ou spirulina maxima, Organisation de Nations Unies pour le Développement Industriel .
Consommation de la spiruline
- Avis de l’Anses relatif aux risques relatifs à la consommation de compléments alimentaires contenant de la spiruline
https://www.anses.fr/fr/system/files/NUT2014SA0096.pdf
- Colloque international sur les cyanobactéries pour la santé, la science et le développement, IRD, 3 – 6 mai 2004
https://horizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/doc34-08/010035381.pdf
- 15 recettes à la spiruline 100 % bonne mine, Fourchette & bikini, 2017
- La spiruline, un super-aliment à intégrer dans vos recettes de cuisine, Chef Simon
https://chefsimon.com/recettes/tag/spiruline
- La spiruline : indications thérapeutiques, risques sanitaires et conseils à l’officine, Audrey Manet, thèse de doctorat en pharmacie, Université de Grenoble, 2016. (dumas-01346709)
https://dumas.ccsd.cnrs.fr/dumas-01346709/document
- Arrêté du 24 juin 2014, paru au journal officiel (JORF n° 0163) du 17 juillet 2014, établissant la liste des plantes, autres que les champignons, autorisées dans les compléments alimentaires
https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000029254516/